(200512)- Face à l’incrédulité du Capitaine John Biddel qui l’a recueilli à son bord, Gulliver n’aurait-il pas exploité le concept de vérité en exhibant moutons, vaches noires, portrait en pied de sa majesté l’Empereur de Blefuscu et bien d’autres curiosités pour étayer sa relation du voyage à Lilliput[i] ?
En compulsant leurs registres, Oscar Newmann, Oscar Krasnasky, Erwin Steiner, Hexner n’auraient-ils donc pas eux aussi exploité la convention T en recoupant les dires et les dits de ces deux fugitifs : Rudolf Vrba et Fred Wetzler[ii] ? N’en n’aurait-il pas été de même pour Gilles Perrault avec ses témoins, les dépositions, les exhumations, l’expertise des médecins légistes[iii]… ?
Dans notre vie quotidienne, dans certaines occasions une exploitation du concept de vérité ne serait-elle pas ainsi mise en oeuvre ? En serait-il autrement dans un entretien (clinique) dont l’objet serait les conditions de (non)possibilité du problème posé par/au locuteur ?
Par contre dans ce dernier cas de figure, pour éprouver les dires et les dits du locuteur et pour parvenir à leurs conditions de possibilités, un registre, des témoins, des dépositions seraient-ils donc à disposition ainsi que des moutons et autres vaches noires?
Le principal sinon l’unique élément disponible ne serait-il donc point les énoncés de l’interlocuteur, son jeu de langage? Ce dernier ne se développerait-il pas dans et grâce à l’entretien en cours, un jeu de langage, lui aussi, qui se joue et s’instaure entre deux partenaires au moins? Ces deux joueurs ne poursuivraient-ils pas ce même objectif, le problème posé et ses conditions de (non)possibilité? Y parviendraient-ils donc sans exploiter et les emplois de signes et le concept de vérité notamment, dans cette version, convention T ?
En effet, exploitation de la philosophie érotématique, à moins qu’il ne soit réponse, un énoncé ne poserait-il pas un problème? Exploitation de la convention T, une façon simple de statuer à ce propos ne consisterait-elle pas à circonscrire les conditions pour lesquelles l’énoncé en question s’appliquerait? La solution au problème posé ne découlerait-elle pas de la satisfaction des conditions pour lesquelles le problème ne se poserait plus ?
En montrant ses moutons, ses vaches noires, Lemuel Gulliver aurait-il seulement cherché à convaincre John Biddel qui l’a recueilli en mer que la relation de ses aventures à Lilliput ne sortait pas de son cerveau dérangé par un trop long séjour en mer après son naufrage ?
En recoupant les relations de Rudi et de Fred avec les données de leurs registres, Oscar Newmann, Oscar Krasnasky, Erwin Steiner, Hexner auraient-ils seulement cherché à éprouver la relation des faits avancés par ces deux fugitifs pour en évaluer la véracité ? N’auraient-ils pas voulu en étayer la validité afin de les exploiter et de prendre des mesures adéquates ?
Ces actions n’auraient-elles pas aussi été souhaitées par Rudolf Vrba et son compagnon ?
En énonçant « je suis triste », cherché-je seulement à informer mon interlocuteur de ce que j’éprouve, ce que je vis ?
Ne chercherais-je pas aussi à ne plus être triste c’est-à-dire à pouvoir énoncer que je ne suis pas ou plus triste ?
Cette énonciation « je suis triste » ne serait-elle pas vérifiée dans des conditions définies telles qu’elles seraient décrites en ces termes par exemple « il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville » ?
Si tel est le cas, « je suis triste » ne devrait-il pas alors cesser de s’appliquer lorsque la condition « il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville » n’est plus remplie?
Dans un entretien (clinique) dont l’objet est les conditions de (non) possibilité du problème posé par/au locuteur, exploiter le concept de vérité et la convention T ne consisterait-il donc pas à trouver les conditions pour lesquelles l’énoncé du problème posé ne s’appliquerait (pas) plus ?
Grâce à cette exploitation, (re)constituer les conditions de (non)possibilité de l’énoncé du problème posé ne reviendrait-il pas à établir une sorte de registre ? exploitation du concept langage comme calcul, ce genre de tableau ne montrerait-il donc pas cette espèce de calcul, n’indiquerait-il pas ces transformations possibles : dans telles conditions l’énoncé se serait appliqué, s’applique, s’appliquerait et dans telles autres il ne se serait pas (plus) appliqué, ne s’applique pas (plus), ne s’appliquerait pas (plus) ?
[i] Jonathan SWIFT voyage à Lilliput Gallimard 1990 p 204
[ii] Rudolf VRBA Je me suis évadé d’Auschwitz Ramsay 1988 pp 329 330
[iii] Gilles PERRAULT L’orchestre rouge Fayard 1989, La longue traque JC Lattès 1975, Le pull over rouge Ramsay 1978